Entretien avec Pauline Bureau

Pour autrui titre

texte et mise en scène Pauline Bureau
du 21 septembre au 17 octobre 2021 au Grand Théâtre

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La fragilité du vivant

Entretien avec Pauline Bureau – juin 2021

Quelle est l’histoire de Pour autrui ?

L’histoire débute comme une comédie romantique. Une femme rencontre un homme. Ils ont un coup de foudre et l’envie d’avoir un enfant mais tout ne se passe pas comme ils l’avaient prévu.
Ils vont vivre des montagnes russes émotionnelles et tracer un chemin singulier pour fonder leur famille. J’avais envie de raconter la façon dont la vie ne vous conduit pas toujours là où vous l’aviez imaginé, la violence des situations auxquelles on peut être confronté et la beauté de certains moments.

Il y a des éléments très personnels dans ce spectacle ?

Oui en effet, disséminés un peu partout, et parfois même sans que je m’en aperçoive. J’ai deux enfants et je me suis souvent dit durant mes grossesses que l’on racontait peu ces moments suspendus où l’on est deux dans un corps. J’avais envie de prendre le temps de suivre ces neuf mois sur le plateau, de parler de l’attente aussi, de l’enfant avec qui l’on vit bien avant qu’il naisse. Ici, ce n’est pas la même femme qui porte et attend le bébé.
Et puis il y a d’autres éléments pour lesquels je me suis inspirée, entre autres, de mon histoire personnelle. La fausse couche ou le cancer sont des épreuves que j’ai traversées ces dernières années. J’ai pu ressentir intimement le lien entre la vie et la mort, la fragilité du vivant, et j’ai eu envie de parler, concrètement, de l’émotion, de l’hôpital, cet endroit incroyable où la vie arrive et où la mort rôde, de ces moments où la vie tremble. Cela reste des événements tabous encore aujourd’hui, d’autant plus durs à affronter que l’on croit que l’on est seul, puisqu’il est rare qu’on en parle.

Est-ce un projet récent ?

J’avais depuis longtemps l’idée de faire un spectacle sur la gestation pour autrui, qui me semble l’un des territoires d’inégalités puissantes qui existe aujourd’hui dans notre pays. Puis j’ai été percutée par le réel et sais très bien depuis lors les limites d’un corps. À l’hôpital j’ai fait des rencontres avec des femmes qui m’ont raconté leur histoire et ont donné de la chair à ce projet de création. Puis j’ai mené le même type de travail documentaire que pour mes précédents spectacles : j’ai rencontré des femmes qui avaient eu recours à la GPA ou qui avaient porté un enfant pour une autre personne, des experts, une avocate spécialisée, la sociologue Irène Théry. En m’appuyant sur ces récits de vie et sur mon histoire personnelle, j’ai tissé ce spectacle malgré les thèmes parfois difficiles qu’il aborde, j’avais envie que ce soit un spectacle qui aille vers la lumière et vers la joie.

Ce spectacle raconte l’histoire d’une gestation pour autrui. S’agit-il d’un plaidoyer ?

Ce n’est pas un spectacle théorique ou documentaire sur la GPA. Dans la société aujourd’hui, il me semble que l’on parle beaucoup de GPA mais que l’on ne la raconte pas. En France, il y a encore peu de récits, mis à part quelques témoignages très inspirants. L’histoire ici est celle d’une femme en France, ne pouvant enfanter pour des raisons médicales qui rencontre une femme aux États-Unis et qui portera son enfant. Dans ce récit ce qu’il m’importe de traverser ce sont leurs parcours individuels, leur trajectoire singulière, dans ses dimensions spirituelle, poétique et politique. Il ne s’agit pas d’expliquer ce qui est bien ou mal ou d’exposer des opinions diverses. Parce que la vie m’a appris que l’on peut avoir un avis, être confronté à certains événements et en changer ! La vie nous rappelle parfois à l’ordre, somme toute, nous décidons de certaines choses mais certainement pas de tout. Les cartes nous sont distribuées et nous jouons la partie. Et dans ce jeu, la violence, la fragilité, le merveilleux et le dégueulasse se côtoient. Chacun navigue comme il peut.
Je souhaitais également interroger les notions de filiation et de famille, dont la définition a beaucoup évolué depuis les années 1980, sans que la loi évolue au même rythme. Je vois bien autour de moi une variété de façons d’être parents aussi bien que de modèles familiaux possibles, et à l’intérieur de ces familles, autant de façons différentes de créer du lien, que ce soit avec des beaux-parents, des parrains, marraines, bref une multiplicité de personnes qui sont autant de soutiens pour les enfants. Parler de ce que représente fonder une famille aujourd’hui, dans toute cette diversité, est me semble-t-il une manière de raconter quelque chose de notre monde.
Enfin, j’ai su très vite que je voulais que le spectacle s’achève avec la parole de l’enfant, tout le récit conduisant à elle, cette enfant qui est née avec cette histoire, mais que l’on ne peut résumer aux seules conditions de sa naissance.

Pour autrui vient après d’autres spectacles qui abordaient la question politique du corps des femmes. Peut-on dire qu’il s’inscrit dans la même veine ?

Étonnamment, quand on est une femme et qu’on parle de soi, on retrouve toujours une question politique : nos corps sont constamment traversés par la politique. Nos personnes comme nos corps restent un enjeu politique. Hors la loi traitait de la question du corps des femmes dans les années 1970, c’était un projet presque patrimonial, pensé pour la Comédie-Française, sa troupe et son histoire. La version contemporaine de cette réflexion est la gestation pour autrui, la manière dont l’État continue d’interférer sur le corps des femmes, à penser qu’elles ne savent pas exactement ce qu’elles font quand elles prennent une décision qui les concerne, à les empêcher de porter un enfant pour autrui parce qu’il a été décidé de ce que chaque femme peut et doit faire avec son corps.
Mais, comme pour l’avortement, il y a un sens de l’histoire. Aujourd’hui il est scientifiquement possible de faire une GPA avec le matériel génétique du couple d’intention, ou un matériel génétique autre que celui de la femme qui porte le bébé. Ce qui a été inventé ne sera pas désinventé.
De nombreux de pays se dirigent vers une légalisation de la GPA. Or, la France se retrouve dans la même situation que face à l’avortement dans les années 1970, seule face aux nations qui légifèrent. Qu’est-ce que signifie, en tant que nation, de déléguer à d’autres la liberté de légaliser une pratique ? Qu’est-ce que cela veut dire de permettre aux plus riches d’y accéder tandis que les plus pauvres ne peuvent y prétendre ? Je crois que de toute façon nous y viendrons ; la question, c’est dans quelle temporalité.

Il y a dans cette création un intérêt plus marqué pour la question écologique. Pourquoi ?

Dans le spectacle, l’éveil écologique des personnages repose sur deux points. Il est, tout d’abord, lié à la prise de conscience, du fait de la maladie, de l’existence des perturbateurs environnementaux. Au niveau individuel, la naissance et la mort sont toujours un mystère : qu’est-ce qui fait que la vie se crée, que la vie s’en va, que les cellules se transforment ?

Et au niveau collectif, des tendances s’affirment et l’explosion des maladies liées aux perturbateurs environnementaux en est une.
Ensuite, cet éveil écologique est lié au fait de devenir parents, de ne pas délaisser la responsabilité de notre génération face à la dérégulation héritée de nos propres parents. Réaliser que le monde que l’on est en train de construire est celui que nous laisserons à nos enfants et aux enfants de nos enfants. Cette prise de conscience crée une urgence. Je constate d’ailleurs que la génération Z n’est plus prête à faire de compromis sur ces préoccupations écologiques.

Quelle est la place des marionnettes dans le spectacle ?

Le personnage d’Alexandre est marionnettiste. Cette figure d’artiste permet une mise en abyme sur le va-et-vient incessant entre la vie et la création : ce qu’il crée est nourri de sa vie, et en retour ses créations nourrissent sa vie.
Ce qui m’intéresse scéniquement, c’est l’existence propre de ces marionnettes très réalistes.
Parfois l’acteur la manipule et parfois la marionnette prend vie d’elle-même. Ce jeu est peut-être aussi une métaphore de mon écriture dans laquelle les personnages que je crée prennent parfois le pouvoir et font des choses auxquelles je ne m’attendais pas, souvent belles et étonnantes. Et puis les marionnettes, c’est une autre façon de poser la question de l’inanimé qui s’anime, c’est assez magique et épatant de voir une poupée allongée qui a l’air morte prendre vie quand on la manipule.

Pourquoi écrire ce spectacle en plusieurs langues ?

C’était d’abord une nécessité documentaire. Les couples, qui ne peuvent pas faire de GPA en France puisqu’interdite, doivent aller loin, dans tous les sens du terme, pour réaliser leur projet.
Et beaucoup choisissent les États-Unis, parce que la GPA y est éthique, c’est à dire pensée et encadrée.
La part d’incompréhension, due à la langue, entre Liz et Rose, qui porte son enfant, et surtout la façon dont cette incompréhension est dépassée, m’intéressait particulièrement. Elles ne parlent pas la même langue, mais ce qu’elles partagent est au-delà des mots, au-delà du texte. Il me semble que c’est d’ailleurs comme ça dans tous les spectacles, les mots ne sont que des moments entre les silences, et ce qui se dit n’est pas toujours le plus important.
J’ai donc d’abord recherché deux acteurs américains, pour faire entendre leur langue maternelle au plateau. Il se trouve que l’un des acteurs que j’ai rencontré est également arabophone, j’ai donc écrit un personnage en conséquence. J’ai également proposé aux acteurs avec lesquels je travaille habituellement de relever le défi de jouer dans d’autres langues. C’était possible pour les personnages de français exilés aux États-Unis comme Kate, la sœur de Liz, ou Claire, qui est française et travaille dans un centre de fertilité à la mise en relation entre les parents français et les femmes américaines. Le plaisir que l’on a à collaborer depuis longtemps est aussi lié à ces jeux entre nous : pour Féminines, il fallait jouer au foot, être une équipe sportive crédible, dans Pour autrui, le jeu avec les marionnettes et en langues étrangères est notre challenge !

Comment le décor permet-il de multiplier les espaces pour se jouer entre deux continents ?

Emmanuelle Roy, avec qui je travaille depuis longtemps, intervient toujours très tôt dans le processus d’écriture. Pour ce spectacle, nous sommes parties de l’oeuf, en écho à la maternité et à la fécondation, pour créer le module central positionné sur une tournette. Ensuite, nous avons développé des univers concentriques pour qu’ils puissent s’imbriquer les uns dans les autres. C’était un véritable Tetris de combiner les différents décors et les espaces de projection vidéo. C’est un jeu auquel on a plaisir à s’adonner ensemble, puisqu’elle commence sa conception alors que le texte est en cours d’écriture et ne s’achève qu’en fonction et grâce à ses décors. Par exemple, son décor de l’aéroport me semblait très évocateur et c’est lui qui m’a amené à écrire la scène de l’accouchement.
C’est le même travail que je mène avec Alice Touvet aux costumes. Ses recherches m’aident à préciser chacun des personnages en amont des répétitions et nourrissent l’écriture. Nous réfléchissons ensemble à l’iconographie du spectacle. Avec Pour autrui, nous avons notamment baigné dans les images bibliques de la Vierge et de la nativité. Retravailler cette iconographie religieuse de façon contemporaine, repartir de cette question du sacré permettent aussi d’aborder la dimension de mystère et de merveilleux qu’il y a dans toute naissance.